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L’IA des années 70

Les années 70 sont un paradoxe : l’IA traverse son premier hiver, mais c’est aussi là que naissent des projets qui feront fleurir la décennie suivante.

Carole Colombier 3 min de lecture
L’IA des années 70 : quand l’IA traverse son premier hiver
Sommaire

Avant même d’atteindre sa majorité, l’intelligence artificielle avait déjà pris plusieurs visages.

  • En 1956, à Dartmouth, elle se rêvait discipline académique.
  • Avec le perceptron, on l’imaginait apprendre comme un cerveau.
  • Avec ELIZA, elle donnait l’illusion de parler,
  • Avec Shakey, celle d’agir dans le monde.

En l’espace d’une quinzaine d’années, l’IA avait déjà multiplié les pistes : réseaux de neurones, imitation de l’humain, langage naturel, robotique. Mais à la fin des années 60, l’enthousiasme retombe : c’est le début du premier hiver de l’IA.

Le coup de froid

À la fin des années 60, l’IA traverse sa première désillusion. Le perceptron se révèle trop limité, les ordinateurs sont trop lents, et les promesses sont trop ambitieuses.

Le rapport Lighthill, commandé par le gouvernement britannique en 1973, dresse un constat sévère : la plupart des avancées sont jugées « académiques », sans application pratique. Les budgets sont coupés et des laboratoires ferment.

SHRDLU : l’illusion du langage compris

En 1970, au MIT, Terry Winograd conçoit SHRDLU : un programme capable de comprendre et exécuter des instructions en langage naturel… mais dans un univers réduit, un « monde de blocs » virtuel.

Pendant quelques années, SHRDLU fait rêver : on dialogue avec une machine qui manipule des objets comme si elle « comprenait ». Mais très vite, ses limites apparaissent : hors de son petit monde, SHRDLU est perdu.

Prolog : un langage pour raisonner

En 1972, à Marseille, Alain Colmerauer et à Édimbourg, Robert Kowalski, créent Prolog (PROgrammation en LOGique). Ce langage permet d’écrire des règles et de laisser la machine en tirer des déductions. C'est une grande avancée qui deviendra l’outil central des futurs systèmes experts et qui inspirera le projet japonais « cinquième génération » des années 80.

MYCIN : la médecine assistée par machine

La même année, à Stanford, Edward Shortliffe développe MYCIN, un programme capable de diagnostiquer des infections et de recommander des traitements antibiotiques.

Son efficacité surprend, elle est parfois meilleure que des médecins généralistes. Même si MYCIN ne sera jamais utilisé en clinique pour des raisons légales, il ouvre la voie à l’intelligence artificielle appliquée à des domaines professionnels précis.

Ce statut de pionnier a un écho fort dans la médecine actuelle. MYCIN, en tant que système expert basé sur des règles logiques et des facteurs de certitude, est l'ancêtre direct des systèmes d'aide à la décision clinique (ADC) modernes. S'il a été technologiquement dépassé par l'essor du Machine Learning et du Deep Learning (qui dominent aujourd'hui l'analyse d'images médicales et la prédiction), son principe de base (formaliser l'expertise pour assister le diagnostic) perdure.

Sa méthodologie symbolique exigeait d'expliquer son raisonnement pour arriver à une recommandation. Cette capacité à la transparence est devenue un enjeu majeur de l'IA contemporaine, désignée sous le nom d'Intelligence Artificielle Explicable (XAI), indispensable pour l'adoption clinique des algorithmes actuels.

MYCIN a prouvé la faisabilité et la valeur de l'informatisation du savoir médical, inspirant toute une génération de chercheurs.

Entre hiver et renaissance

Les années 70 ne sont donc pas un désert. Même si l’intelligence artificielle vit son premier hiver, c’est aussi une décennie d’expérimentations discrètes qui prépareront le retour en force des années 80 avec les systèmes experts.

En résumé :
  • Fin des années 60, le perceptron est critiqué, les financements s’effondrent : c’est le premier hiver de l’IA.
  • Pourtant, quelques avancées notables voient le jour : SHRDLU (1970), Prolog (1972), MYCIN (1972).
  • Ces projets jettent les bases de l’IA symbolique et des systèmes experts qui domineront les années 80.