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Pendant qu’en Europe on débat de l’IA, la Chine l’enseigne

Là où l’Europe rédige des chartes et organise des tables rondes sur les risques de l’intelligence artificielle, la Chine a fait un autre choix : celui de l’enseignement.

Carole Colombier 4 min de lecture
IA : la Chine l'enseigne dès l'école, l'Europe débat
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Dans les écoles primaires chinoises, les élèves apprennent déjà à coder, à manipuler des robots et à comprendre le fonctionnement des algorithmes. L’intelligence artificielle est vue comme un savoir fondamental, au même titre que les mathématiques ou la lecture.

L’école, laboratoire national de l’intelligence artificielle

Depuis 2025, l’enseignement de l’IA est devenu obligatoire dans les écoles chinoises, à raison d’environ huit heures par an dès le primaire, selon le ministère chinois de l’Éducation.

Le pays a lancé 184 écoles pilotes pour expérimenter de nouveaux programmes associant robotique, logique algorithmique et sensibilisation éthique. Les enseignants sont eux-mêmes formés à ces sujets dans des bases nationales d’éducation à l’IA. À Hangzhou, la « Silicon Valley » chinoise et siège d'Alibaba (géant du e-commerce et de la tech), les cours d’IA sont désormais aussi obligatoires que les mathématiques, d’après un article du South China Morning Post.

L’objectif est de créer une génération capable de comprendre et d’améliorer les systèmes d’intelligence artificielle, pas seulement de les consommer. Dans certaines classes, les élèves programment des robots pour leur apprendre à éviter les obstacles, reconnaître des visages ou répondre à des instructions vocales simples.

Une pédagogie expérimentale, mais portée par un état convaincu que la souveraineté numérique commence par l’éducation.

Les robots aussi vont à l’école

L’idée peut prêter à sourire : en Chine, les robots « vont » littéralement à l’école.

À Shanghai, le centre de formation en robotique humanoïde interdisciplinaire (Humanoid Robot Kylin Training Ground) forme chaque jour des centaines de machines à marcher, interagir et manipuler des objets. Ces entraînements massifs génèrent plus de 50 000 données par jour, selon le média technologique Innovant, utilisées pour affiner les modèles d’apprentissage.

La startup AgiBot produit déjà des humanoïdes en série avec 962 unités fabriquées en 2024, d’après ses propres données.

En août 2025, Pékin a accueilli les World Humanoid Robot Games : 280 équipes, 16 pays, des robots qui courent, boxent, jouent au ping-pong. Officiellement, c’est une compétition. Officieusement, c’est un message : la Chine veut faire de la robotique un sport national, un moteur de fierté collective.

Ce n’est plus de la science-fiction mais bien une politique industrielle et culturelle assumée.

En Europe, le grand débat continue

L’Union européenne a consacré des années à encadrer l’IA via l’AI Act. Si cette approche réglementaire est indispensable pour bâtir une IA de confiance, elle ne répond qu'à la moitié de l'équation. Le texte reste centré sur la conformité et les risques, pendant que l’enseignement de l’IA demeure expérimental, souvent réservé au supérieur, et rarement intégré dans les programmes nationaux.

L’Europe se pose encore la question : faut-il apprendre l’IA, ou la surveiller ?

Cette prudence traduit un cultural lag, ce « retard culturel » qui fait que la technologie avance plus vite que les mentalités. Là où la Chine forme ses citoyens à interagir avec des systèmes intelligents, l’Europe forme surtout des juristes pour en définir les limites.

Un enjeu éducatif… et géopolitique

Le marché chinois des robots éducatifs pèse déjà plus d’un milliard de yuans en 2025 (plus de 120 millions d'euros), selon la société d’études AIBase, et sa croissance annuelle moyenne dépasse 29 %. La densité robotique dans l’industrie atteint 470 robots pour 10 000 travailleurs, selon la Fédération internationale de robotique (IFR),un niveau qui place la Chine au 3ᵉ rang mondial.

Ces chiffres racontent une stratégie cohérente. Faire de l’intelligence artificielle un moteur économique, mais aussi un outil de formation nationale. En formant à la fois les enfants et les machines, la Chine construit un écosystème où apprentissage humain et apprentissage artificiel s’alimentent mutuellement.

L’Europe, elle, risque de devenir consommatrice d’IA étrangères, faute d’avoir formé ses propres générations à penser ces technologies de l’intérieur.

Apprendre ou réguler : il faudra choisir

L’histoire retiendra peut-être que les premières écoles de robots ont ouvert avant que l’Europe n’apprenne à s’en servir. À force de débattre des risques, nous risquons de manquer la phase d’apprentissage.

Former à l’IA n’est pas une question de mode. C’est une question de souveraineté cognitive. Et demain, l’écart entre les nations ne se mesurera plus en PIB, mais en lignes de code par élève.

En résumé :
  • La Chine a rendu l'enseignement de l'IA obligatoire dès l'école primaire.
  • Le pays investit massivement dans la formation pratique de robots humanoïdes.
  • L'Europe se concentre sur la régulation (AI Act) au détriment de l'éducation de masse.
  • Cet écart éducatif représente un enjeu de souveraineté géopolitique majeur.