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Prendre du recul est l'action la plus productive de votre semaine.

Dans beaucoup d’entreprises, dès qu’on parle de recherche, de veille ou de formation, la réponse tombe : « On n’a pas le temps, on est déjà sous l’eau ! » C’est une réaction compréhensible, liée à la charge mentale et aux frustrations du quotidien. Mais c’est justement ce piège qui empêche de progresser. D’après Arie de Geus et Peter Senge, la solution consiste à investir dans la transition vers une organisation apprenante : un modèle qui transforme l’apprentissage continu en avantage compétitif durable.

Carole Colombier 8 min de lecture
Prendre du recul est l'action la plus productive de votre semaine.
Sommaire

Qu’est-ce qu’une organisation apprenante ?

Une organisation apprenante est une entreprise qui fait de l’apprentissage un réflexe permanent plutôt qu’un événement ponctuel. Elle adapte en continu ses compétences pour rester en phase avec un environnement en perpétuelle évolution. C’est encore plus pertinent de nos jours, dans notre société en hyper-innovation technologique (avec la démocratisation de l’IA et des LLMs par exemple).

Cet apprentissage est collectif, transversal et continu, et ne repose pas uniquement sur quelques experts ou formations ponctuelles. On se nourrit des informations issues du terrain, des expériences et des retours de ses membres pour évoluer.

Le principe est de cultiver une dynamique d’intelligence collective où chaque personne, à son niveau, a un rôle à jouer pour aider l’entreprise à innover, s’adapter et progresser.

Les origines et les concepts

Les fondations d'une d'entreprise agile et innovante

Le concept d’organisation apprenante s’est popularisé grâce aux travaux d’Arie de Geus, ancien directeur de la planification stratégique chez Shell, et surtout de Peter Senge, célèbre professeur à la Sloan School of Management du MIT, considéré comme l’un des fondateurs modernes de cette approche.

Les 5 disciplines de Senge

Dans son ouvrage The Fifth Discipline, Senge identifie cinq disciplines qui structurent toute organisation apprenante :

  • Les modèles mentaux : prendre conscience de ses représentations, de ses croyances et de leurs limites. Sans cet examen, on reste prisonnier de nos propres biais. C'est la fameuse phrase « On a toujours fait comme ça ! », qui tue l'innovation. C'est s'autoriser à voir de nouvelles solutions à d'anciens problèmes.

  • La maîtrise personnelle : cultiver une posture d’apprentissage individuel permanent. Des individus curieux et ouverts créent une culture d'amélioration continue et de résilience.

  • La vision partagée : aligner les objectifs et donner un sens commun. Sans vision partagée, même les équipes les plus talentueuses gaspillent leur énergie dans des directions opposées.

  • L’apprentissage en équipe : transformer la collaboration en levier de progression collective. C'est par le dialogue, le débat constructif et la collaboration que naissent les solutions les plus innovantes.

  • La pensée systémique : comprendre l’entreprise comme un tout, où chaque action est reliée aux autres.

Sans elle, on passe son temps à régler des symptômes sans jamais traiter les causes profondes. Elle permet d'éviter les "fausses bonnes idées" qui créent plus de problèmes qu'elles n'en résolvent.

Le cadre de Garvin, Edmondson & Gino

Ce cadre a été proposé en 2008 par trois figures majeures de la Harvard Business School : David A. Garvin, un expert reconnu du management organisationnel, Amy C. Edmondson, la pionnière du concept de "sécurité psychologique" et Francesca Gino, une spécialiste des sciences comportementales et de la prise de décision.

Ils identifient trois conditions clés pour qu’une organisation puisse réellement apprendre :

  • Un environnement favorable à l’apprentissage : climat de sécurité psychologique, ouverture aux idées nouvelles, temps réservé à la réflexion.

  • Des pratiques concrètes d’apprentissage : expérimentation, collecte et analyse d’informations, formation continue.

  • Un leadership soutenant l’apprentissage : des dirigeants qui montrent l’exemple, encouragent la curiosité et valorisent l’initiative.

Pourquoi c’est stratégique aujourd’hui ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : d’après le programme de recherche (2010 -2017), “High-Impact Learning Culture” de Bersin by Deloitte, les organisations qui valorisent une culture d’apprentissage approfondie sont jusqu’à 92 % plus innovantes et présentent une productivité améliorée de 52 %, par rapport à leurs concurrentes.

Cette approche favorise le bien-être au travail, renforce la marque employeur et améliore la rétention des talents. Les collaborateurs restent plus longtemps dans une entreprise qui leur donne les moyens de progresser et qui valorise leur contribution.

L’organisation apprenante permet de dépasser les logiques tayloriennes (où chacun répète des tâches figées) pour renouer avec une culture du Lean, où chaque ressource (temps, énergie, argent, attention) est utilisée de manière optimale, en supprimant ce qui ne crée pas de valeur et en favorisant l’amélioration continue.

Dynamique que France Stratégie, (notamment dans son rapport de 2018 "Apprendre à tout âge : vers une société des compétences"), a identifié comme essentielle pour répondre aux défis économiques et sociaux actuels.

L'idée maîtresse est que la France doit passer d'une "société des diplômes" à une "société des compétences", où l'apprentissage tout au long de la vie n'est pas une option, mais une nécessité économique et sociale.

Et la règle des 5 heures c’est quoi ?

La règle des 5 heures qui consiste à consacrer 1 h par jour ou 5 h par semaine à l’apprentissage. Ça illustre parfaitement comment un effort individuel peut se transformer en avantage collectif.

De nombreux leaders mondiaux la pratiquent ouvertement : Bill Gates s’accorde deux semaines par an uniquement pour lire et réfléchir, Warren Buffett lit plusieurs heures chaque jour, Elon Musk a appris l’ingénierie spatiale en appliquant ce principe.

La règle des 5 heures

Comment l’appliquer ?

L'astuce n'est pas de "trouver" du temps, mais de le "créer" en transformant les moments perdus, les “temps morts” en “temps forts” d’apprentissages.

Vous ne devez pas chercher 60 minutes de libre dans votre journée, vous ne les avez pas. Il y a des stratégies ou des opportunités beaucoup plus simples à intégrer dans votre agenda chargé.

  • Démarrer la journée, non pas avec vos emails, mais avec un café et un article de fond, un chapitre de livre ou une newsletter de veille. C’est un démarrage proactif plutôt que réactif.

  • Dédiez chaque semaine à un micro sujet comme “ Maîtrise des tableaux croisés dynamiques sur Excel”, “Comprendre le fonctionnement d’une API”... Chaque jour, je déroule mon apprentissage : veille et lecture, expérimentation, réflexion, partage et bilan.

  • Associez votre moment d’apprentissage à une habitude déjà existante. Dès que je ferme mon dernier dossier, au retour de ma pause de midi, après avoir allumé mon ordinateur…

  • Bloquez des “focus time” récurrents dans votre agenda (ex: 9h-9h30 chaque jour).

  • Terminez la journée en écoutant un podcast métier pendant votre trajet.

Comment fait-elle écho aux disciplines de l’organisation apprenante ?

  • Maîtrise personnelle et modèles mentaux : Lire une heure par jour, ce n’est pas accumuler des informations. C’est prendre du recul, confronter ses croyances, explorer d’autres points de vue. Petit à petit, on développe une meilleure conscience de soi et de ses biais.
  • Vision partagée : Quand ce temps d’apprentissage se transforme en discussions collectives, les idées individuelles deviennent un projet commun. Vous ne lisez plus seulement pour vous, vous alignez l’équipe autour d’une ambition partagée.
  • Expérimentation : Consacrer une heure par semaine à tester un outil ou une idée, c’est installer une culture du “prototype permanent”. L’entreprise apprend en marchant, et chaque essai, réussi ou raté, enrichit le collectif.
  • Pensée systémique : En prenant le temps de relier nos actions, nos résultats et nos ajustements, on arrête de traiter les problèmes de manière isolée. On comprend les liens, les causes profondes, et on devient capable d’agir sur l’ensemble du système.

Mise en pratique pour les dirigeants et les équipes

La règle des 5 heures et la logique d’organisation apprenante ne sont pas que des concepts. Elles se traduisent en pratiques très concrètes, aussi bien au niveau individuel qu’au niveau collectif.

Individuellement

Cela peut passer par le fait de bloquer chaque jour 30 minutes dédiées à la lecture ciblée ou à la veille stratégique, planifier 1 heure par semaine pour réfléchir, écrire ou synthétiser ses apprentissages, tester chaque semaine une idée ou un outil en MVP ou prototype pour passer de la théorie à l’expérience.

Collectivement

Dans une équipe ou une entreprise, la démarche peut prendre différentes formes :

  • Partages de lecture : de courts briefings entre collègues pour diffuser les idées clés.
  • Séances de retour d’expérience : ritualiser la capitalisation des succès comme des échecs.
  • Hackathons internes ou mini-projets d’expérimentation pour stimuler l’innovation.
  • Un soutien managérial clair : instaurer une culture de sécurité psychologique, encourager la curiosité et voir l’erreur ou l’échec comme un levier d’apprentissage.

Les obstacles courants et comment les contourner

Comme toute transformation culturelle, l’adoption d’une démarche apprenante rencontre des résistances. Les plus fréquentes sont :

  • « Je n’ai pas le temps » : en réalité, une grande partie du temps est absorbée par des activités à faible valeur (réunions trop longues, interruptions, mails en cascade). La solution consiste à ritualiser le temps d’apprentissage et à le protéger dans l’agenda, comme un rendez-vous stratégique.

  • Culture du résultat à court terme : la pression immédiate fait oublier la vision à long terme. La clé est de construire petit à petit : commencer par 30 minutes de lecture par semaine, puis élargir. Célébrer les petits progrès installe la dynamique.

  • Peu d’implication managériale : si les dirigeants ne montrent pas l’exemple, les équipes ne suivront pas. Le levier est clair : le leadership doit être visible et cohérent, en incarnant l’importance de l’apprentissage continu.

Comment nous avons amorcé notre culture d’organisation apprenante chez LVLUP

Dans notre agence nous sommes 3. Et justement, cette petite taille nous impose une exigence : chacun doit être capable de comprendre et d’évoluer sur l’ensemble des sujets de l’agence.

Pendant un temps, nous fonctionnions de manière assez cloisonnée. Je m’occupais de la R&D sectorielle, des nouveaux outils et de l’IA, tandis que mes collègues, plus orientés technique, assuraient la veille sur les frameworks, les outils et les évolutions techniques au sens large. Bien sûr, nous faisions tous de la veille… mais chacun dans son coin.

Résultat : beaucoup d’informations restaient dispersées et peu exploitées collectivement.

La bascule s’est faite avec un outil tout simple, que tout le monde connaît mais que peu utilisent réellement à son plein potentiel : Google Workspace.

Nous avons décidé de l’exploiter comme colonne vertébrale de notre apprentissage collectif :

  • Un Drive partagé, qui fait office de bibliothèque vivante où nous stockons nos livres, PDF, études et documents de R&D, le tout avec un classement clair et intuitif.

  • Des chats dédiés, où nous partageons nos trouvailles : dernier outil testé, benchmark d’une solution, retour d’expérience.

  • Une mutualisation systématique : chaque idée ou ressource est documentée pour que les autres puissent s’y plonger facilement, même longtemps après.

La différence est flagrante. Là où nous avions parfois l’impression d’avancer en solitaire sur nos sujets, nous avons désormais une vision d’ensemble. On ne travaille plus “dans son coin”, mais dans un véritable flux d’échanges et de connaissances partagées. Et ce changement a renforcé non seulement nos compétences individuelles, mais aussi notre capacité collective à innover et à progresser.

Investir du temps pour apprendre n’est pas un luxe, ni une distraction. C’est l’unique manière de bâtir l’avenir de son entreprise dans un monde où tout s’accélère.

En résumé :
  • Ne cherchez pas à "trouver" du temps, mais à "créer" des moments dédiés à la veille, à la réflexion ou à l'expérimentation.
  • Cet effort personnel nourrit une culture d'intelligence collective et aide à aligner les équipes. Cet engagement instaure une dynamique d'amélioration continue.
  • Les entreprises qui valorisent l'apprentissage sont plus innovantes et plus efficaces. Elles retiennent mieux leurs talents et sont mieux armées pour faire face aux défis d'un monde qui s'accélère.
Carole Colombier
Product Owner / Marketing