En 1980, le chercheur en robotique Hans Moravec observait ceci : « Ce qui est facile pour les humains est difficile pour les machines, et ce qui est difficile pour nous est facile pour elles. »
Ce paradoxe revient sur le devant de la scène en ce moment avec l’intelligence artificielle qui s’invite dans nos logiciels, nos métiers et nos vies quotidiennes. Il nous aide à mieux comprendre ce qu’on peut ou ce qu’on doit automatiser.
Comprendre le paradoxe de Moravec
Pour un être humain, reconnaître un visage dans une foule, attraper une balle au vol, comprendre une ironie ou marcher dans une rue bondée, c’est facile. Ce sont des compétences qui reposent sur des millions d’années d’évolution biologique et sur un cerveau qui s’est adapté aux interactions sociales et physiques.
Pour une machine, c’est un cauchemar : elle doit traiter une infinité de signaux, gérer l’incertitude, interpréter des nuances de contexte.
À l’inverse, des tâches qui nous semblent compliquées comme résoudre un système de 1 000 équations, analyser des milliards de données financières, calculer des trajectoires orbitales, sont exécutées par les ordinateurs en une fraction de seconde. C’est cette asymétrie que Moravec avait pointée, bien avant l’avènement des IA génératives et des robots modernes.
Comment l’actualiser aujourd’hui ?
Le paradoxe de Moravec est plus vrai que jamais. L’IA excelle dans la puissance brute mais trébuche sur ce qui, pour nous, est intuitif.
Les LLMs peuvent rédiger un contrat commercial ou résumer un rapport de 200 pages en quelques minutes, mais ils restent incapables de « comprendre » une blague absurde ou de saisir une subtilité culturelle implicite.
Les robots chirurgicaux assistent les médecins avec une précision millimétrée, mais un robot domestique a encore du mal à plier correctement une chemise.
Les systèmes de reconnaissance faciale identifient un individu dans une base de millions de photos, mais confondent parfois un chien avec un enfant si les conditions de lumière sont inhabituelles.
Ce que l’IA révèle sur la vraie valeur du travail humain
Cette différence de capacités bouleverse notre rapport au travail.
- Les métiers cognitifs routiniers de plus en plus exposés : Considérés comme prestigieux et « protégés » (juristes juniors, traducteurs, analystes), ces métiers sont désormais en première ligne. Leurs tâches répétitives et calculatoires se prêtent parfaitement à l’automatisation.
- Les métiers manuels et relationnels plus résilients : Plombiers, aides-soignants, serveurs, artisans, éducateurs : leur valeur réside dans la motricité fine, la gestion de l’imprévu et le lien humain. Autant de dimensions où l’IA reste encore très limitée.
C’est un renversement : les professions très diplômées voient certaines de leurs activités automatisées, tandis que des métiers plus humains, souvent sous-estimés apparaissent comme plus « résilients » face aux machines.
Au-delà de la menace : la complémentarité
Il ne faut pas avoir une vision simpliste : l’IA ne remplace pas, elle transforme.
Dans les métiers exposés, il existe une expertise humaine irremplaçable. Un expert-comptable, par exemple, n’est pas là pour passer ses journées à saisir des factures et des chiffres dans un tableur ou à chercher des erreurs de virgule. Ces tâches sont chronophages, ennuyeuses et sources d’erreurs. Elles sont parfaites pour être confiées à une IA.
Par contre, ce qui fait la valeur de ce métier, c’est tout le reste : comprendre le contexte stratégique d’une entreprise, anticiper les risques, accompagner un dirigeant dans ses choix. Autant d’activités où l’intuition, l’expérience et le jugement humain sont essentiels.
On oublie souvent qu’une immense partie du travail quotidien, dans presque tous les métiers, est accaparée par des tâches administratives répétitives.
- Un infirmier libéral passe parfois autant de temps à télédéclarer ses visites et remplir des formulaires qu’à soigner ses patients.
- Un enseignant consacre des heures chaque semaine à saisir des notes, préparer des attestations ou remplir des logiciels imposés, au détriment du temps pédagogique.
- Un policier passe de longues heures à rédiger des procès-verbaux et des rapports standardisés, alors qu’il pourrait être davantage présent sur le terrain.
- Un dirigeant associatif voit ses journées grignotées par la comptabilité, les feuilles de temps, les tableaux de reporting.
- Un agent de mairie passe des heures à vérifier et ressaisir les mêmes justificatifs pour une carte d’identité, alors qu’il pourrait consacrer plus de temps à informer et guider les usagers.
L’IA doit être considérée comme une prothèse cognitive qui supprime la charge inutile (mentale et travail) et laisse de la place pour que chacun se concentre sur sa valeur ajoutée et sa montée en compétence.
Une nouvelle hiérarchie de la valeur
Ce qu’on considérait comme rare et précieux il y a quelques années (calcul, statistique…) devient abondant et accessible à tous. À l'inverse, ce qui devient rare et valorisé, c’est la relation, l’interprétation, la créativité et l’improvisation.
La valeur des métiers ne se mesure plus seulement en termes de diplômes et de prestige mais aussi en fonction de la part humaine qu’ils demandent.
L’importance n’est pas de choisir, si oui ou non, l’IA va remplacer les humains, mais de construire un équilibre intelligent.
- Déléguer aux machines ce qu’elles font mieux que nous
- Préserver et valoriser ce que nous faisons mieux qu’elles
On va tous devoir se poser des questions :
- Quelles tâches je peux sous-traiter avec de l’IA ?
- Quels sont les outils qui vont me permettre de le faire ?
- Quelles sont les tâches pour lesquelles je suis indispensable ?
- Comment je vais monter en compétence sur ces domaines ?
C’est à nous de préserver notre capacité à agir, interpréter, et donner du sens à notre métier.
- Paradoxe de Moravec : Ce qui est simple pour nous est dur pour une machine, et inversement.
- Impact sur le travail : Les métiers cognitifs sont menacés, les métiers humains plus résilients.
- Complémentarité IA/Humain : L'IA automatise le répétitif pour libérer l'expertise et le jugement humain.
- Nouvelle valeur : La créativité et la relation humaine deviennent plus précieuses que le calcul.