Combien facturer quand on bosse en Freelance ?

19 novembre 2019, par Didier Sampaolo

La question de l'argent semble toujours être taboue, au moins en France. Crevons l'abcès : si on travaille, c'est avant tout pour gagner notre vie. Allez, on parle pognon ?

Mise au point : je ne suis pas là pour t'apprendre la vie. Je vois souvent passer la question, parfois de la bouche de débutants, et parfois de salariés confirmés, qui réfléchissent à se lancer à leur compte. Je l'ai fait, j'en ai chié, et je pense que je peux apporter deux ou trois arguments à ta réflexion. Ne prends évidemment pas cet avis comme argent comptant, je ne suis pas dans tes bottes, et plus important, ce n'est pas moi qui paie tes factures.

La vraie question à se poser n'est pas "combien est-ce que je peux facturer" mais "combien est-ce que je dois facturer".

Définir son objectif financier

On va partir du salaire net que tu souhaites encaisser. Admettons que tu veuilles avoir 2500 euros disponibles tous les mois. Ça fait 30000 euros à sortir par an. Avant d'aller plus loin, faisons un "reality check" : dans le développement, c'est un salaire correct sans être abusé, pour peu que tu aies un peu d'expérience sur une technologie qui se vend bien en ce moment. React est à la mode, PHP est ultra-répandu (surtout associé à un framework comme Symfony ou Laravel), Python et Ruby ont une base solide d'adeptes. Choisis ton poison.

Module ton salaire en fonction de tes ambitions, mais aussi de ton expérience et de ta motivation. On va voir que pour arriver à cette somme, il faut déjà déployer des trésors d'ingéniosité, car la route est longue et les embûches nombreuses.

Sous quel statut ?

Pour avoir le droit de facturer, tu dois le faire sous un statut juridique particulier. J'espère que ce point est déjà acquis (sinon, on part vraiment de loin).

Auto-entreprise / micro-entreprise

Impeccable pour démarrer, la micro-entreprise (autrefois appelé "auto-entrepreneur", si j'ai bien compris) permet de démarrer facilement : tu peux faire les démarches seul, c'est très rapide. En quelques jours seulement, tu recevras un numéro de SIRET et ton activité professionnelle peut démarrer.

Il faut se méfier d'une chose : les limitations du statut font que tu seras vite freiné. Par exemple, les frais professionnels (cartouches d'encre, billets de train, et j'en passe) sont à ta charge. Non seulement tu payes la TVA sur ces produits, mais en plus tu ne peux pas les défalquer de ton chiffre d'affaires pour le calcul de l'impôt. Par contre, évidemment, les charges sont réduites, puisque tu débourseras environ 22% de tes revenus.

Dans l'idéal, tu ne devrais pas rester auto-entrepreneur très longtemps. Sous ce statut, ton objectif devrait être de mettre de l'argent de côté, le plus rapidement possible, afin de passer à la vitesse supérieure, l'entreprise.

Si on veut se tenir à nos 30k nets par an, il faut encaisser en réel environ 37k par an. Sans compter les frais !

(Florian, que je présente plus bas dans l'article, tient à vous préciser que le prélèvement libératoire peut être plus intéressant en termes d'impôts - voyez ça avec lui)

Entreprise / société

Avec un statut Entreprise, ton chiffre d'affaires n'est pas plafonné. Par contre, tu seras obligé de faire tenir ta comptabilité au carré. Tu pourras défalquer de ton CA les frais réels de l'entreprise (amortissement du matériel, consommables, déplacements professionnels, etc).

Note au passage : en étant assimilé-salarié de ton entreprise (dont tu es le Président), tes impôts sur le revenu sont prélevés à la source. J'étais contre cette mesure lorsqu'elle a été annoncée, la mise en place a été un peu bordélique (on est 7 salariés chez Soumettre.fr), mais finalement, je trouve ça assez confortable. Je n'ai plus à me soucier de mes impôts, qui sont prélevés directement sur mon salaire, chaque mois. Mon net est plus bas, certes, mais ça fait un souci en moins, et l'argent qu'il me reste chaque mois est disponible en intégralité.

Pour créer une entreprise, je te conseille de te faire aider, notamment pour la rédaction des statuts et les dépôts au Greffe. Law-Up, société qu'a fondée mon ami Florian, s'occupe de ces choses-là pour moi (entre autres), je te le recommande chaudement. Bon à savoir, le capital que tu déposes pour créer la société n'est pas bloqué. Si tu as, par exemple, acheté un ordinateur pour pouvoir travailler, la facture entrera en "compte courant associé" : c'est de l'argent que ta société te doit, et que tu pourras récupérer sans frais dès que la trésorerie le permettra.

Quand tu as des dépenses, tu récupères ta TVA. Si tu as facturé 1200 € de prestation TTC, tu devras en théorie reverser 200 € de TVA. Par contre, si tu as acheté 120 € TTC de cartouches d'encre, tu as déjà payé 20 € sur ces 200 € : tu as donc "économisé" la TVA sur l'achat. Les impôts que paiera ton entreprise sont calculés sur ses bénéfices uniquement, et pas sur son chiffre d'affaires global. Tu ne seras pas imposé sur les 100 € HT de cartouches d'encre...

Ça semble être un détail, mais ça a une importance capitale, puisque ça t'incite à réinvestir ton argent au lieu de te freiner : renouvellement de matériel informatique, consommables, etc. Achète-toi un fauteuil de bureau (lien d'affil) plus confortable, c'est toujours ça de gagné, et ça t'évitera de te flinguer le dos.

Par contre, en entreprise, les charges sur les salaires sont (beaucoup) plus élevées qu'en auto-entrepreneur. Compte environ 50% : pour 30k annuels, il faut rentrer 60k de CA. C'est sur cette base qu'on va continuer.

Note de Florian : Didier parle de son cas en SAS, avec une SARL le calcul de charges serait différent.

Digital nomad

Si tu préfères profiter de la misère ambiante pour te donner l'air riche dans un pays du tiers monde, tu seras parfaitement heureux en tant que Digital Nomad. Personnellement, je suis jeune papa, et je préfère financer les écoles et hopitaux dont ma fille aura besoin. (Déstresse, c'est une boutade).

Combien de jours facturés ?

Une année compte environ 240 jours ouvrés. Ça élimine les samedi et dimanche, et les jours fériés. Personne ne t'empêche de les travailler, mais je ne peux que te conseiller de les considérer comme du bonus. Tu es un être humain (en théorie), et tu atteindras forcément tes limites à un moment. J'ai galéré longtemps au début de ma carrière de freelance, et je peux t'affirmer, de première main, que le fait de se pousser à l'exténuation régulièrement, dans la peur de ne pas boucler un mois, c'est catastrophique autant pour ta santé (mentale et physique) que pour tes relations commerciales.

Tu vas être malade. Retirons 10 jours sur l'année, pour le coup de blues en novembre (météo de merde), la petite grippe hivernale, et les gueules-de-bois (très handicapantes quand on a un métier qui demande de réfléchir droit) consécutives aux apéros printaniers.

Tu vas foirer des missions. Tu galères plus longtemps que prévu sur un petit bug à la con, tu t'entends mal avec le client, etc. Une remise commerciale est nécessaire pour garder des relations cordiales. Admettons que ça représente 5 % de ton temps (ça me semble être un score plus qu'honorable - bravo ! on y reviendra plus longuement, mais c'est une mission pour un autre article), soit 12 journées par an.

Tu vas tomber sur des cons. Le client est de mauvaise foi, et/ou il a des soucis de trésorerie et c'est sur toi que ça tombe. Oui, tu peux l'attaquer, mais "c'est plus compliqué que ce que vous croyez" (dixit mon avocat). Là aussi, comptons 5%, soit encore 12 jours dans les dents.

On va ajouter 3 jours, répartis sur l'année, parce que ton ordinateur a besoin de maintenance, ta connexion plante, etc.

Il y a aussi la compta et la "direction financière". Tu vas devoir mettre en place un petit dashboard à ta sauce pour suivre ton activité, aggréger les dépenses par postes (oui, je viens de le faire, et je me suis rendu compte du GOUFFRE que représentaient les cartouches d'imprimante.) et tenter d'avoir un prévisionnel sur ta tréso, à court ou moyen terme (ça t'évitera de frôler le découvert, ou la crise cardiaque, quand tu auras un appel de charges pour les cotisations retraite). Comptons 1.5 jours par mois. C'est une moyenne, la période du bilan peut te monopoliser plus de temps que ça. 18 jours au total dans l'année.

On s'offre des vacances ? Soyons raisonnables, en début d'activité, on va compter 3 semaines dans l'année. Ça va vite : trois jours chez tes parents pour Noël, une semaine à la plage en été, un long week-end au ski... 21 jours au total (en y incluant des ponts éventuels).

Il faut prendre le temps d'éditer et d'envoyer les factures, de relancer les impayés, je compte deux jours par mois, soit 24 jours à l'année.

Dans les dépenses, aux 60k de salaire, on va ajouter 1000 € de mutuelle (c'est important, d'avoir une bonne mutuelle), 500 € d'assurances diverses dont celles obligatoires (idem), 1000 € de matos (le disque dur, un peu de RAM en plus, un écran plus grand... bordel, c'est interminable), et 1500 balles de compta, qui devraient couvrir les besoins courants (tenue des comptes, déclarations, bilan et assemblée générale de remise des comptes). On ajoute 1000 € de consommables (putain d'encre), et 500 € de frais bancaires (en pro, ça grimpe vite), pour un Grand Total de 65500 euros annuels.

Ça nous fait un total de 100 journées retenues. Tu disposes donc de 140 jours pour faire entrer 65500 €. Ça fait une base à 470 euros par jour, si tu vends toutes tes journées.

Ça peut sembler haut comme base tarifaire, mais pour avoir vécu un démarrage d'activité, je t'assure que personnellement, ça me semble justifié. Évidemment, on s'est permis des largesses, comme les congés, un cabinet comptable efficace, du matériel au niveau, etc. Mais (et encore une fois, c'est personnel), je ne considère pas ces choses comme du superflu. Je ne vois pas l'intérêt d'être freelance si c'est pour bosser dans des conditions dégradées : ça crée une bombe à retardement, où tes clients vont croiser les doigts pour ne pas que tu claques la porte au milieu de la mission.

Un jour, j'ai récupéré un dossier que l'ancien développeur avait abandonné après plus mois de travail, parce qu'il avait décidé de devenir magnétiseur à Nice. Je crois que c'est à peu près ce qui peut arriver de pire, et je suis certain (de par ma place de client aujourd'hui, puisque j'achète au moins autant de code que ce que j'en produis) que le client aurait préféré voir son projet aboutir, en payant un peu plus cher, si ça avait pu éviter un burn-out.

Oser parler d'argent avec le client

Enfin, dernier conseil : mets-toi dans le crâne, le plus vite possible, que ta relation avec un client est une relation commerciale. Ton client n'est pas un ami (il n'y a aucune règle qui l'empêche de le devenir) et tu n'as pas à te mettre en quatre pour lui faire plaisir. Tu dois t'astreindre à une bonne qualité de service, pour qu'il paye ses factures sans rechigner et qu'il en redemande.

Du coup, annonce-lui ton taux journalier (ou horaire) dès le début, explique-lui combien de temps prendra chaque demande, et laisse-le calculer si l'investissement vaut le coup ou pas. Ce n'est pas au client de fixer le prix d'une intervention.

Explique-lui aussi dès le départ tes conditions de remise. Par exemple, "je peux baisser de 20% si tu me prends plus de 10 jours, avec un acompte de 40%".

Pense à lui parler aussi de ce qui n'est pas compris dans l'enveloppe. J'ai eu un client, très sympa, mais qui souhaitait absolument que j'aille le voir à Paris deux journées par mois. On s'est vite mis d'accord : l'hôtel et le train sont à sa charge, et c'est moi qui choisis l'hôtel (le Formule Un en bordure d'autoroute, on m'a déjà fait le coup) et l'heure du train (idem pour le départ à 5h20 pour payer moins cher).

Pour finir (même si on y reviendra très longuement dans un prochain article), une des actions qui ont fait décoller mon business a été de mettre en place un "tarif urgence", qui était très majoré (mais genre, vraiment abusé). Ça a très vite fait comprendre à mes clients qu'il était important qu'ils anticipent leurs besoins. Au bout de quelques semaines, le mot "urgent" avait disparu du vocabulaire, j'avais mes week-ends, et une vision claire sur mon emploi du temps (à deux semaines, hein...), ce qui m'a permis de bosser plus sereinement, et donc d'assainir mes relations commerciales.

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